Médias Sociaux et Mise en Scène de l’Histoire

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Authorship
  1. 1. Martin Grandjean

    Université de Lausanne

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Introduction
La rigueur de la critique des sources historiques est-elle soluble dans l'immédiateté et la course à l'audience des médias sociaux ? Depuis plusieurs années, les projets de médiation culturelle se multiplient, en particulier sur Twitter où la brièveté des messages se prête bien à une nouvelle forme de storytelling historique et dont le public est particulièrement curieux et avide de retweeter l'une ou l'autre photographie d'ar-chive documentant la grande (et plus rarement la petite) histoire de l'humanité ou de participer à la commémoration d’un événement (Clavert et al. 2015). Mais les institutions patrimoniales et les universités ne sont pas les seules à mettre ainsi en valeur leurs collections et leurs compétences, elles sont aujourd’hui largement dépassées par des comptes créés de toutes pièces pour partager automatiquement des images célèbres ou des citations flatteuses à des millions d’abonnés, sans contextualisation ni précautions de véracité, de licence ou de liens vers la source originale. Alors que certaines de ces initiatives sont le fait de passionnés, qui s’attachent à un événement qui les touchent personnellement et ont à coeur de le faire vivre à leurs abonnés, nombre de pages Facebooks/Twitter sont en fait produites en série par des individus qui, conjointement à des comptes partageant les plus belles photos de paysages du monde, d’animaux ou de personnalités célèbres, construisent des audiences de dizaines de millions d’internautes à des fins publicitaires.

Nous proposons une analyse d’un certain nombre de comptes Twitter présentant des caractéristiques très différentes. On verra que la montée en puissance des comptes commerciaux est basée sur des stratégies relativement simples, de l’achat de followers à l’autoréférencement. Dans un second temps, nous établirons une typologie des usages des documents historiques à des fins de communication sur les médias sociaux. Ce classement, qui se veut également un outil pour les institutions qui seraient tentées de mettre au point leur propre projet de médiation culturelle sur ces plateformes, montrera en particulier que la palette des usages ne se restreint pas forcément au partage de ressources mais tient parfois beaucoup plus du récit et de la mise en scène.

Figure 1. Exemples de comptes Twitter à caractère historique.

Prendre la mesure d'un phénomène
Un compte Twitter comme @HistoryInPics génère

quotidiennement plus de 10,000 retweets, alors que

les social media editors de la Bibliothèque nationale de France (@GallicaBnF) dépassent occasionnellement la centaine d'interactions, malgré leurs contenus originaux et souvent présentés avec humour. Mais plus d'abonnés ne veut pas toujours dire plus d'engagement de ceux-ci, surtout quand une majorité d'entre eux sont inactifs : c'est pourquoi nous analyserons en détail les publications d'une dizaine de comptes pendant un mois. La quantification de ces audiences (fig. 2) est un passage obligé pour comprendre l'ampleur du phénomène et tenter de comprendre la nature de ces publics. Fondamentalement, si ces démarches -même commerciales - ont un tel succès, c’est qu’il est temps que les historiens se saisissent de la question.

On verra en particulier que les audiences des grands comptes peu scrupuleux se recoupent largement, un phénomène qu’on expliquera en détail par l’analyse d’un échantillon de plusieurs dizaines de milliers d’abonnés. On s’attachera également à dresser, pour les comptes d’institutions patrimoniales, une statistique des contenus les plus susceptibles de créer un fort engagement. Encore une fois, il s’agit d’adopter une posture d’observation, de décoder des pratiques numériques souvent en décalage avec les idées reçues qui circulent dans les milieux académiques et de questionner la relation ambigüe entre recherche historique et valorisation de celle-ci.

Engagement

Figure 2 : Analyse d'un mois de tweets de quatre comptes Twitter partageant des contenus historiques de manière très différente (Grandjean 2014). Chaque point est un tweet dont

le succès est représenté sur une échelle logarithmique de retweets+favoris. Les boîtes de droite résument la dispersion du résultat (50% des tweets de chaque compte obtient un “engagement” qui tient dans la zone définie par la boîte correspondante).

Décrire les usages
Certains mettent valeur leurs collections, d'autres en font des exercices (Steffen et Nunes Coelho 2014), cherchent le buzz pour lancer une start-up en communication numérique, luttent pour qu'une cause historique soit reconnue ou mettent en scène leur grand-

père au travers de son journal de guerre, mais tous ont

en commun l'utilisation de documents d'archives -souvent photographiques - dans leurs micro-messages.

Dans cette recherche, nous ferons la différence entre les communications basées sur la disponibilité d'archives et celles qui, pour illustrer un récit, font usage de documents d'archive (fig. 3). Paradoxalement, c'est dans la première catégorie que l'on trouve les usages les plus « purs » comme les usages les plus critiquables : d'une part des institutions d'archive qui partagent des pièces de leurs collections ou des chercheurs qui consultent des documents et tweetent les « perles » qu'ils rencontrent et d'autre part des comptes semi-automatisés qui partagent des photographies issues de grandes banques d'images, du portrait de président américain à la couverture d'album des Beatles. Il s'agit toujours ici d'un processus ar-chive^communication. À l'inverse, la démarche com-munication^archive est mise en pratique lorsque l'internaute souhaite mettre en scène un événement, un récit historique ou une thématique et que celui-ci va piocher dans des illustrations ou des documents pour étayer son propos.

Figure 3 : Typologie des usages de Twitter pour la communication de documents historiques.

Perspectives
Les médias sociaux favorisent-ils une démocratisation et une réappropriation de l'histoire par son public ou sont-ils au contraire un vecteur d'une histoire spectacle décontextualisée ? S'il apparaît de manière évidente que la réponse se situe entre ces deux extrêmes, ou du moins qu'elle varie selon les usages précis, rappelons que nous proposons ici une plongée dans une réalité, quotidienne pour certain et étrangère pour d'autres. Cet état des lieux, en deux parties, quantitative et typologique, doit servir de base à une réflexion plus large sur le rôle des historiens et des institutions patrimoniales dans une société numérique où l'on ne peut lutter contre la dissémination d'images mal référencées et de contenus instrumentalisés. Cerner ces phénomènes, c'est aussi préparer la réplique, rigoureuse, critique et pourquoi pas créative.

Bibliography
Butticaz E. (2013). Twitter, cette machine à remonter le temps, Le Temps, https://www.letemps.ch/no-sec-tion/2013/11/22/twitter-cette-machine-remonter-

temps (accessed 1st October 2016).

Clavert F., Majerus B. et Beaupré N. (2015). Twitter, the Centenary of the First World War and the Historian. Twitter for Research 2015, Lyon.

Grandjean M. (2014). Source criticism in 140 characters: rewriting history on social networks, International Federation for Public History Conference, Amsterdam.

Steffen M. et Nunes Coelho P. (2014). Tweeting during World War II, http://h-europe.uni.lu/?p=2037 (accessed 1st October 2016).

Varin V. (2014). Tweeps Discover the Past, Perspectives on

History, https://www.historians.org/publications-and-directories/perspectives-on-history/april-2014/tweeps-discover-the-past (accessed 1st October 2016).

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ADHO - 2017
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Aug. 8, 2017 - Aug. 11, 2017

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